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The Pan African Music Magazine
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Boddhi Satva, « l’âme ancestrale » du diamantaire musical

Après nous avoir fait découvrir son arrière-monde musical (à l’occasion de son festival en ligne), le DJ et producteur Boddhi Satva évoque sa conception de la musique à l’ère du tout numérique, et la manière dont il s’est forgé un son, « l’Ancestral Soul ». Interview, par Cortega.

Tu as l’habitude de dire que tu veux changer la façon dont « les gens ressentent la musique ». Qu’est-ce que ça signifie ? 

Quand on parle des musiques d’Afrique, il existe d’innombrables sons et motifs différents, tous aussi complexes et uniques les uns que les autres, et néanmoins liés entre eux. Et je crois que cette richesse et cette complexité sont difficiles à entendre pour qui n’a pas l’oreille expérimentée. Alors quand j’ai créé mon propre son, l’« ancestral soul », l’un des principaux objectifs était de rendre hommage aux sons et rythmes traditionnels, en honorant la mémoire de ceux qui ont tracé le chemin avant nous. J’ai ensuite utilisé la musique électronique pour mieux « emballer » les éléments traditionnels que j’ai introduits en club, sans quoi les gens n’auraient peut-être pas dansé. Le but était de rendre accessible au plus grand nombre ces voix et mélodies qui n’étaient pas très connues. Et cette mission est toujours d’actualité. Je pense d’ailleurs que ça a plutôt bien fonctionné, puisque ça a incité pas mal d’artistes à adopter une approche similaire,  et qu’il existe aujourd’hui – comparé à l’époque- une façon très différente de consommer et ressentir la musique africaine traditionnelle. 

Peu de producteurs ont développé un son aussi unique et reconnaissable entre mille. Quels sont les secrets de cette alchimie ?

Mon apport réside essentiellement dans l’utilisation de la caisse claire, inspirée par la musique d’Afrique centrale comme le ndombolo., avec la même syncope que l’on retrouve dans le coupé-décalé [il fredonne « tchak tchak tchaka-bam tchak-tchak »]. Parmi les producteurs de house, des gens comme Ron Trent vont utiliser les shakers et le charley pour imiter, en quelque sorte, ce feeling syncopé. Mais personne ne fait sonner la caisse claire comme je le fais. L’autre élément de ma recette est la superposition de couches de percussions. J’associe plusieurs motifs percussifs entre eux et je travaille avec le contretemps, un peu à la manière du broken beat, tu comprends ? Au début j’utilisais des rythmes hyper complexes, pour finalement évoluer vers un son plus simplifié. Mais honnêtement, il vaut mieux ne pas avoir une recette toute faite, au risque de tomber dans le piège de la paresse créative. Dans ce game, il est crucial de rester à la pointe, et s’il y a une personne qui m’a inspiré en ce sens, c’est Osunlade.

Je me rappelle précisément lui avoir envoyé une chanson dont j’étais très enthousiaste. Il a écouté et m’a simplement dit, « ouais, c’est bien, mais tu as déjà produit le même genre de choses ». Pas facile de recevoir ce commentaire mais venant du maître lui-même, je ne pouvais guère que l’accepter et me remettre au boulot en essayant de comprendre ce qu’il avait voulu me dire. Après avoir bossé dur, je lui ai envoyé une nouvelle version qu’on a tous les deux trouvée bien meilleure. Je crois que pour quiconque est dans la création artistique, c’est une chance énorme d’avoir un mentor qui t’inspire à creuser toujours plus profond, et explorer des territoires mentaux dont tu ne soupçonnais même pas l’existence au fin fond de ton esprit. Et pour moi, c’est Osunlade qui a joué le plus grand rôle dans mes influences musicales. D’autres comme Alton Miller et Franck Roger, ainsi que beaucoup d’autres, ont joué un rôle clé dans mon aventure créative. Et puis, même si une grande partie de ma musique vient d’un geste intentionnel, j’ai toujours laissé de la place aux « erreurs » qui mènent à la nouveauté.

Tu es un des DJs les plus volubiles au micro pendant les sets. Ça vient d’où ?  

Je pense que ça vient de mon enfant à Bria, et notamment au Palace Kotto, où le légendaire DJ FanFan prenait le mic pour faire son animation atalaku [la version africaine du MC dans le hip hop ; NDA], dans un genre toujours subtil, le bon mot juste au bon moment. Et je dois dire que ça m’a toujours fasciné. Bon, évidemment, je ne prends pas le micro à chaque DJ set, mais seulement quand je me sens à l’aise avec le public. Cela dit, maintenant qu’il y a tous ces événements online avec le Corona [Covid-19 ; NDT], c’est devenu un élément essentiel de mes shows en streaming : pour essayer malgré tout de performer dans la bonne humeur et de faire vivre un bon moment aux gens dans un cadre virtuel, j’ai intégré plus d’interaction avec les gens en leur faisant des shoutouts (dédicaces, NDLR) et en répondant à leurs commentaires en direct. Donc oui, le micro est important pour moi, bien que je sois conscient que certaines personnes n’apprécient pas trop les DJs qui parlent. Mais honnêtement, je n’en abuse pas trop, parce que c’est la musique qui est prioritaire, et je ne veux absolument pas lui faire de l’ombre.

Tu as été de plus en plus présent sur le net depuis le début de la pandémie, avec tes émissions Quarantine Grooves et Monday Quality Talks

Il a bien fallu s’adapter et inventer de nouvelles solutions. Comme la plupart des DJs, la majeure partie de mes revenus vient des cachets live… et avec les confinements successifs, j’ai dû m’efforcer rapidement de rester sain d’esprit. Et rien de mieux que de passer de la musique. N’importe quel style de musique. J’ai donc passé 50 jours d’affilée à jouer chaque jour en live sur mon compte Instagram, non sans difficultés techniques.

Au même moment, je commençais à avoir de plus en plus de conversations avec d’autres esprits créatifs confinés, sur des sujets comme atteindre ses objectifs, rester motivé, comment avoir envie de continuer, comment s’adapter, etc. Et tout ça s’est plus ou moins transformé en deux programmes hebdomadaires que j’ai diffusés sur mon compte YouTube – tous les vendredis pour Quarantine Grooves et quasiment chaque lundi pour Monday Quality Talks. Il m’a fallu un certain temps d’adaptation pour être honnête, et mon frère Kaysha a été une grande source d’inspiration pour ces projets. Il faut accepter que c’est la création de contenu qui fait fonctionner le nouveau système économique, et il est désormais essentiel de se maintenir productif et cohérent sur internet. 

Le streaming live ne remplace évidemment pas les shows en chair et en os, mais on imagine que ton approche du deejaying a évolué depuis que tu as dépassé la centaine de performances en ligne. 

[Rires] À vrai dire, je me demande comment je me comporterais si j’avais un public aujourd’hui devant moi ! Blague à part, je ne suis même pas sûr que le format « en club » va faire son retour à l’identique de ce qu’il était avant la pandémie : l’intégralité du secteur a tant souffert depuis le début de cette crise, que je doute qu’il y ait assez de monnaie dans le circuit pour payer les cachets des artistes, ou que le public retrouve son pouvoir d’achat pour se payer les entrées. Je me consacre désormais à créer des expériences. Des performances pluridimensionnelles, avec une approche artisanale, à taille humaine. L’autre évolution importante avec le streaming live, c’est qu’il m’a permis de montrer la pluralité de mon deejaying à un public encore plus large : plus seulement de la house, et pas nécessairement un genre spécifique. Au final, c’est une belle opportunité pour partager mes goûts musicaux, et je pense que ça aura une certaine influence dans mes lives.  

Ton émission Monday Quality Talk aborde des sujets aussi divers que les sentiments, la spiritualité, la sexualité et la politique. Quel est ton objectif avec ces talk shows ?

L’idée principale est d’avoir des conversations sincères et complètement ouvertes sur nos propres expériences. C’est un contenu qui se veut à la fois très inspirant, susceptible de donner de l’autonomie et de faire progresser [« empowering » en anglais ; NDT] : comment améliorer ses relations, développer son business, gérer les changements de structure mentale que cela induit, faire face aux défis quotidiens, etc. Ce sont des éléments que je tire parfois de mes propres expériences, mais mon idée est d’inviter de plus en plus de personnes de tous horizons. Surtout, des gens qui mettent en pratique ce qu’ils défendent. Car on entend beaucoup d’histoires de réussite dites par des gens qui ont déjà énormément de succès. Ce qui est très bien, mais je suis bien plus inspiré par des gens qui débutent de zéro, et qui malgré tout parviennent à rester positifs, à garder le sourire et à trimer tous les jours. Ce sont ces femmes et ces hommes qui ont les meilleures ressources mentales pour affronter la réalité de la vie. Et c’est désormais très clair, vu les retours que l’on reçoit, que beaucoup de gens de notre milieu professionnel – et même en dehors – ont un réel intérêt à écouter ces expériences issues du vécu. 

Tu sors énormément de musique, dans des genres aussi différents que le sont tes collaborations. Tu peux nous en dire plus sur ta vision des choses et ta stratégie ?  

À une époque où le streaming est roi, la musique a beaucoup perdu de sa valeur. Pour la majorité des gens, la sortie d’un disque n’est plus un événement aussi important qu’auparavant, tout simplement parce qu’ils ne déboursent rien pour l’écouter. Et une fois qu’ils ont écouté un album, la plupart d’entre eux passe à autre chose dès le lendemain. Bien entendu, il existera toujours cette minorité de gens qui écoute avec attention, et analyse chaque chanson dans le détail, mais ce ne sont pas eux qui font monter les statistiques de streaming, qui au final payent les factures de l’artiste. Et bien que j’essaie de m’adresser à ces deux types de public, en maintenant la qualité et mon intégrité, je mets désormais l’accent sur la quantité. Avant la pandémie, je sortais environ un single par mois. Mais dans cette nouvelle économie dominée par les plateformes de streaming, elles-mêmes contrôlées par  l’intelligence artificielle des algorithmes, la stratégie est simplissime : plus tu sors de la musique, plus tu reçois du trafic à travers le placement de tracks et les playlists, et plus tu génères de revenu. C’est automatique, en quelque sorte. Et il y a certainement des inconvénients, mais j’aime l’idée que ces plateformes sont moins arbitraires. 

Le système n’éprouve pas d’états d’âmes ; il te récompense si tu fais ton travail. Je considère ça comme une évolution, et on doit en tirer le meilleur. Et il y a autre chose, c’est que je n’ai jamais voulu me borner à un seul style. Mon son est décrit comme de la « soul ancestrale », un terme qui regroupe toute la diversité et la variété que j’y introduis. Au bout du compte, quand je regarderai tout ce que j’ai fait, j’aurai envie d’être fier. Je veux m’assurer que c’est pertinent, varié, cohérent et qualitatif : ce sont les critères que je me suis fixés. Quant aux albums, j’adorerais en sortir un troisième, pour sûr, mais je n’ai pas encore décidé d’un quelconque planning. Et puis pour être honnête, j’hésite parce que j’adore sortir des singles. C’est franchement très excitant de balancer une chanson chaque semaine.

Selon toi, quels sont les territoires où la scène électronique africaine est en développement ?  

C’est une scène extrêmement large et variée, mais une des caractéristiques que j’ai repérée est l’émergence de « tribus ». Un mélange hétéroclite de gens qui se rassemblent pour former un tout cohérent et cool. Tu as par exemple La Sunday à Abidjan, qui rassemble tout un tas de types différents, et des mecs comme Jeune Lio et Black Charles, qui jouent une combinaison de coupé-décalé, de trap ivoirien et d’afro house. Il y a évidemment ElectrAfrique à Dakar, avec toi [Cortega ; NDT], Leuz Zarak et vos invités. Tu as aussi Nyege Nyege, qui font leur truc en Ouganda, et Africa Nouveau au Kenya. Tous ces festivals et ces fêtes un peu partout rassemblent des tribus différentes. Je pense que c’est une très belle contribution de la part de la musique électronique africaine au monde de la nuit en général : des fêtes très inclusives, avec une certaine candeur, et le sentiment que tout est possible, notamment la poursuite de la fête jusqu’au petit matin… Je crois qu’au moment où on imagine une nouvelle façon de vivre la « vie nocturne », ces exemples peuvent inspirer toute la scène et bien au-delà du continent. L’Afrique a une sacrée carte à jouer dans l’industrie internationale du spectacle, en dehors des exemples nigérian, sud-africain et ghanéen. Le mouvement s’amplifie et prend de la vitesse.  

Découvrez également l’univers de Boddhi Satva en 15 sons.

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